Depuis des mois, l’Europe s’enlise dans un débat sans fin sur la crise des réfugiés. Même l’Allemagne, représentée par Angela Merkel, qui avait décidé d’accueillir à bras ouverts l’ensemble des demandeurs d’asile semble faire marche arrière, notamment suite aux récentes et nombreuses agressions de femmes dans plusieurs villes du pays. La situation est également hors de contrôle en Grèce, où j’ai pu constater par moi-même, dès le mois de janvier dans les rues d’Athènes, que ce pays déjà durement touché par la crise économique et la crise de sa dette, n’arrive plus à faire face à l’ampleur du phénomène. Même son de cloche en France et dans les rues de Paris, où l’hiver n’effraie pas certains de dormir sur les trottoirs de la capitale. Pendant ce temps là, dans les bureaux et hémicycles surchauffés de l’Union européenne, aucun pays ne veut s’engager à laisser ses frontières ouvertes, sur fond de craintes de débordements et troubles à l’ordre public, d’urgence sanitaire mais aussi par peur de possibles retours d’islamistes radicaux. L’aide d’urgence est finalement débloquée en faveur de la Grèce. Les négociations avec la Turquie n’en finissent plus. Pour un résultat bien éloigné des idéaux que nous partageons tous. L’Union européenne devient de plus en plus égoïste en repoussant le flux de migrants hors de ses frontières terrestres. Elle laisse également à la dérive bon nombre d’embarcations de fortune où s’entassent femmes, enfants et hommes en quête d’un monde meilleur. Quitte à ce que ces êtres humains périssent sur les rives de la mer Méditerranée. Les réseaux sociaux sont inondés de messages et de publications plus sordides les unes que les autres. Les citoyens jouent les indignés et se disent forcément choqués face à l’image d’un très jeune garçon, noyé, tête dans le sable, que la mort a fauché bien trop tôt. Les semaines passent et cette photographie est rapidement oubliée. Les médias se sont détournés des naufrages pour mieux se concentrer sur d’autres sujets, bien plus futiles, tels que l’élection présidentielle française qui n’a pourtant lieu que dans plus d’un an.
Le débat s’est donc naturellement immiscé parmi les hommes et les femmes politiques français, où la langue de bois y est devenue de plus en plus décomplexée. Une députée européenne, originaire de Lorraine, s’est illustrée par la véhémence de ses propos destinés à semer la peur – ni plus ni moins – parmi les habitants de sa région et plus particulièrement des zones rurales. Les réfugiés seraient des gens feignants, tout juste bons à dilapider nos impôts, à saccager les lieux qui les accueillent et à pourchasser la jolie jeune fille en fleurs de nos campagnes. Penses-tu réellement cela de personnes qui ont fui des zones où il ne reste plus rien de leur vie passée, de leur maison, de leur quartier, voire de l’Histoire tout court ? Ils sont des centaines de milliers, peut-être quelques millions. En comparaison, nous sommes presque 500 millions de citoyens dans l’Union européenne. Notre passé est loin d’être rose. Des exodes massifs ont eu lieu pendant la Seconde Guerre Mondiale mais aussi plus récemment suite à la guerre de Yougoslavie. Si nous pouvons être ce que nous sommes aujourd’hui, c’est en partie grâce à la générosité et à l’humanité de Nations, de peuples et d’êtres humains qui ont accueilli nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents et les ont aidé le temps qu’il fallait. Aujourd’hui, parmi ces réfugiés syriens, irakiens ou d’autres nationalités, il y a des hommes et des femmes qualifiés, lesquels exerçaient des professions dans leur pays d’origine. Des ingénieurs, des médecins, des professeurs ou encore de simples employés qui ne cherchent qu’à s’intégrer dans leur nouveau pays d’accueil, tout en gardant l’espoir – comme nous tous – qu’un jour ce conflit cessera et qu’ils pourront retourner vivre sur leurs terres s’ils le souhaitent.
Cette situation inédite que traverse l’Europe est aussi l’occasion pour ma génération, qui n’a jamais connu la guerre autrement qu’au travers de photographies, de reportages vidéo ou de souvenirs de nos papy-mamie, de réaliser à quel point nous sommes chanceux au quotidien. De vivre en sécurité, avec un toit, des services publics efficaces quoiqu’on en dise. D’avoir accès à une nourriture de qualité et des vêtements chauds l’hiver. A l’inverse, certaines Françaises et certains Français ont peur de l’inconnu. J’aimerais qu’ils profitent de cette occasion pour montrer l’humanité qui réside forcément au fond de leur cœur et pour s’enrichir de la découverte de l’autre. Face à nous, des hommes, des femmes et des enfants qui ont marché sur plus de 4.000 kilomètres, pendant des semaines et des mois, dans la pluie, le vent et le froid, sans rien d’autre que leur conviction et leur désir d’un avenir plus paisible que sous le ciel bien meurtrier de Damas, d’Alep ou de Palmyre. Et qu’en est-il de nos politiques étrangères qui ont été un échec cuisant au Proche et au Moyen-Orient depuis plus de 40 ans ? Avec pour résultat cette misère et de ce désarroi dont se nourrit l’État islamique pour imposer sa loi sur des territoires toujours plus grands. Le sujet est sensible tant les débouchés économiques sont légions et les contrats juteux, notamment en ce qui concerne la vente d’armements et l’approvisionnement crucial de l’Europe en énergies fossiles. L’esprit Charlie est bien loin quand des marchés sont à conquérir et qu’un faux-pas diplomatique pourrait aboutir à des contrats annulés. Dernier exemple en date : la récente remise de la Légion d’honneur au Prince héritier d’Arabie Saoudite ne devrait vraisemblablement pas calmer les esprits de celles et ceux qui réclament une politique économique plus en phase avec la défense de nos valeurs et particulièrement le respect des Droits de l’Homme mais aussi de la Femme, en cette journée du 8 mars, qui nous ferait presque oublier quelque temps le sort de ces migrants jetés sur les routes d’Eurasie.