Aujourd’hui, le papier semble faire les frais de notre ère du « tout numérique ». Difficile de trouver une bibliothèque qui respire la cellulose et l’encre d’imprimerie chez la plupart des jeunes. On y trouve plutôt des jeux vidéo, des bandes dessinées belges, des mangas japonais et parfois quelques romans d’auteurs contemporains. Dans la rue et les transports en commun, le baladeur MP3 a remplacé la lecture. Moins contraignant, moins fatiguant et demandant probablement moins d’attention et de réflexion. Ce constat s’impose de plus en plus à moi : beaucoup de mes amis et des gens que je fréquente ont perdu le goût de lire ou même plus radicalement, n’en ont jamais éprouvé le plaisir. A leur décharge, on pourrait se rappeler du nombre gigantesque d’œuvres à lire pour l’épreuve de français du baccalauréat. Et non pas des moindres, des poids-lourds de la culture française et même de la France avec un grand F comme Charles De Gaulle se plaisait à prononcer. Montesquieu, La Bruyère, Voltaire, Rousseau, Chateaubriand, Stendhal, Zola, Rimbaud et d’autres dont les noms résonnent encore péniblement dans la tête des anciens lycéens des quatre coins de France et de Navarre, autrefois assommés par le programme de lecture obligatoire.
Pourtant, il s’agit juste de trouver le style d’écriture ou le thème qui plaira à son lecteur. Des phrases de Proust dont les subordonnées complètement enchâssées les unes dans les autres font perdre le fil de l’histoire et encore plus simplement le sujet principal de l’action, jusqu’aux écrits de Choderlos de Laclos, mêlant avec tact, ambiguïté et discernement, les rapports machiavéliques entre deux libertins face à leurs victimes innocentes, le fossé est grand – très grand. La première œuvre comporte moins de pages que la deuxième mais constitue purement un supplice pour bon nombre de lecteurs. Par conséquent, il serait faux de penser que tout lecteur peut lire, comprendre et apprécier chaque œuvre. De même, la presse écrite, selon les articles qu’elle consacre et les thèmes qu’elle aborde, ne touche pas de la même manière ses différents lecteurs. Et si tu faisais le pari de trouver une œuvre qui te correspond ? Peu importe le nombre de pages et l’auteur, intéresse-toi à l’intrigue, au sujet qu’elle aborde. Aujourd’hui, on a beaucoup trop tendance à dénigrer la littérature et encore plus la littérature classique. Celui qui arbore fièrement quelques pages de papier signées Dumas, tranquillement installé sur son strapontin dans le métro, récolte facilement un tas de regards dubitatifs, parfois même inquisiteurs. Il sera facilement classé comme l’intello bobo par excellence. Pourtant, bien des personnes qui ont perdu l’envie et/ou le temps de lire s’accordent sur un élément : seul un livre est capable de faire rêver, de transmettre des émotions par l’écrit, sans t’imposer un visuel obligé. Et surtout, un livre peut t’empêcher d’éteindre la lumière le soir. Qui n’a jamais eu cette pensée « Encore juste une page… » et s’est retrouvé encore plongé dans son livre une demi-heure plus tard ?
Loin de moi l’idée de vilipender les autres formes d’expression que sont la sculpture, la peinture, la presse écrite, le cinéma, le théâtre ou encore l’opéra, il me semble tout de même dommage que les jeunes générations collégiennes et lycéennes soient de moins en moins séduites par des textes que des générations entières ont parcourus par le passé. Il s’agit de trouver le sage équilibre dans la profusion de loisirs qui s’offre aujourd’hui à nous. Entre la télévision, les salles obscures, les expositions, les musées, les discothèques, les bars et les restaurants, où est véritablement passé le calme de la lecture à domicile ou bien à l’ombre d’un tilleul des Tuileries ou encore d’un hêtre du Bois de la Cambre ? Et si l’on avait tout simplement oublié de trouver le temps pour prendre le temps ? Omis d’apprendre à se laisser surprendre par le pouvoir de mots subtilement associés les uns avec les autres ? Même si l’hiver approche à grand pas et que l’automne ne semble pas vraiment clément du côté des températures, gageons que le printemps et l’été à venir nous réservent de belles opportunités pour flâner par un bel après-midi ensoleillé, sans rien d’autre qu’un livre en poche, pour finalement trouver refuge sur un banc public ou un carré de pelouse. Disons adieu à Internet et à notre téléphone portable pendant quelques heures. Passons-nous de ces « progrès » technologiques qui nuisent finalement à une part de notre tranquillité. Et finalement, rêvons au détour de quelques pages.